Mon grand père avait deux sœurs , l’une d’elle , Marie était restée vieille fille , les vieilles filles passaient pour des demeurées , elle n’avaient pas trouvé chaussure à leur pied , elles menaient une vie austère , recevaient peu de visites , n’avaient guère de loisirs , vivotaient avec une petite pension , de quelques poules et des légumes du jardin
L’autre sœur s’appelait Rosalie , elle avait épousé avant la guerre un bonhomme du coin , tous vivaient à Bricquebocq , pas loin les uns des autres
Rosalie avait eu un enfant tous les ans pendant une douzaine d’années , une grande famille , beaucoup de garçons à nourrir , elle n’en pouvait plus Rosalie , pas d’aide sociale , peu de ressources , elle faisait des séjours fréquents à Pont l’Abbé , on parlerait peut être de burn out aujourd’hui
Les enfants étaient séparés , répartis dans des familles , ils devaient être productifs le plus tôt possible
Rosalie était une drôle de femme , elle avait deux nattes blanches enroulées au dessus de ses oreilles et au dessus de sa tête , deux boules parfaitement symétriques , ça m’intriguait beaucoup cette dismorphie
C’était sans doute des kystes graisseux , elle gardait ça sur la tête comme d’autres avaient de verrues , des taches de vin …
Les dix enfants avaient bénéficié des années 50 pour trouver du travail , à l’arsenal pour l’un , improvisant sans formation dans des boulots stables , ils ont fondé leurs propre famille mais ….tout près d’eux rodaient la dépression , pas de psy , pas de mots , pas de groupes de paroles , le passage à l’acte était fatal
Est-ce que c’était héréditaire , y’avait il dans cette famille une tendance à la dépression lourde , à ce pathologies mystérieuses que l’on appelle aujourd ‘hui bipolarité ou borderline
On ne saura jamais
Ont-ils manqué de sécurité affective au point de lâcher prise à l’âge adulte
Les tombes du cimetière nous rappelle ce triste constat , tous le même nom de famille , tous restés dans le même village , fatalité ..
Ces histoires là me travaillent , je ne peux guère en savoir plus aujourd’hui , j’en parle un peu avec ma tante Suzy , la maladie a touché fort ma mère , à aliéné mon frère dans une vie complexe et cruelle
C’était l’avant guerre , le si peu d’aide aux familles , les drames , l’isolement , la misère ..
Je regarde cette époque avec émotion , elle est si proche et parait si lointaine à la fois
J’ai besoin de raconter à mes enfants , c’est ça aussi leur généalogie , bien loin des portraits de familles qui trônent dans les salons cossus des années 50
Ils étaient jeunes dans les années folles , dans les campagnes , on était bien loin de l’euphorie vestimentaire et artistique
Rosalie était dépressive , elle a vécu entre sa sombre maison et les couloirs froids et sordides des établissements psychiatriques
Tant de dégâts dans cette famille …
Commentaires
Je crois que c'est un peu le cas dans toutes les familles. C'était une époque où être une femme était très difficile.(être un homme ne valait pas mieux, d'ailleurs)
C'était l'époque. La contraception, l'avortement, l'hygiène, l'alphabétisation pour tous ont quand même contribué à améliorer les choses, quoiqu'on en dise.
On le voit bien aujourd'hui, avec le retour de la paupérisation galopante, la misère sociale, les dégâts sur les enfants sont énormes.
Pauvre Rosalie. Elle serait fière sans doute d'avoir engendré indirectement des gens tels que toi, qui vivent si pleinement leur vie de femme.
la régulation des naissances , les soins et l'école accessible à tous ont complétement métamorphosé les structures familiales
Les enfants nés après guerre ont pu accéder au collège , au certificat d'étude , les ainés étaient déjà salariés , ça laissait de la marge
Les années 50 furent aussi un tournant sur les connaissances en psychiatrie , mais il en fallu du temps pour que les maladies soient identifiés une à une , et soignées sur du long terme
il y avait une fatalité installée , "perdre la tête " était une maladie comme une autre
oui , on peut observer cette misère là aujourd'hui , et quand à cela on ajoute une catastrophe naturelle de grande ampleur , c'est désarmant ...
nos vies sont faciles Célestine , j'y pense souvent , très souvent
Rien à ajouter au com de Celestine si ce n'est que je crains aujourd'hui un pas en arrière. Il me semble que l'alphabétisation pour tous est en train de reculer et que malgré les efforts pour ne pas dire le combat sur le terrain de notre dirlette préférée et de ses collègues, nous revenons progressivement à une éducation et une médecine à deux vitesses pour ne parler que du plus important.
C'est bien de ne jamais "zapper" les gens qui ont souffert. Hier avait lieu les commémorations des anciens combattants morts pour la France. On ne commémore pas les combattants morts d'avoir souffert de la vie. Ne les oublions pas.
Bizzzz
attend , l'école est encore accessible à tous et OBLIGATOIRE , et en France personne ne se voit refuser l'accès en hôpital public en urgence
on est bien lotis , la politique familiale en France est exemplaire , bien sur , y'a quelques failles , mais toute personne y a droit tant qu'elle est sous le régime de la sécu
regarde le système britannique , c'est autre chose
évidemment , il faut rendre hommage aux combattants , et respecter ces moments là , les débordements sont navrants , rien à ajouter
Il m'est arrivé, quand je vivais en caravane pour raisons professionnelles, de voir des enfants qui ne vont jamais à l'école sans que personne ne s'en n' inquiète. Il m'arrive encore de voir des vieillards édentés qui n'ont pas les moyens de s'offrir un dentier alors qu'ils ont cotisé une vie entière de dur labeur....Comme tu le soulignes il existe des failles. Est ce une consolation de voir que cela peut être pire ailleurs ??? Je ne me plains pas d'être ici je pense seulement que si comme Célestine note ses élèves je devais noter nos différents gouvernants successifs je dirais : Négligent depuis un certain temps leurs devoirs. Doivent se ressaisir dans leur travail et réapprendre le respect mutuel, base d'une cohésion sociale.
Difficile la vie dans ces années dans les campagnes, dans ces petits bourgs perdus, comme le si bien Célestine bien loin du Paris des années folles. C'est important de savoir d'où l'on vient pour profiter pleinement de ce que l'on a.
connaitre ses racines , est ce une nécessité absolue ?
Comprendre notre propre histoire dans la Grande Histoire
plus je vieillis , plus je me dis combien le virage des années 60 , le confort , la libération de la femme ont complétement révolutionné le quotidien ( et le divorce aussi )
une seule ombre au tableau aujourd'hui , le manque de travail , véritable drame pour les familles
la vie dans les campagnes avait tout de même un avantage , les récoltes , le bétail , on manquait de rien sur la table
Et parfois, je me plains !
tu peux quand même avoir des moments de raz le bol tu sais
faut juste relativiser , mais ça , tu sais le faire
Je me suis éloignée quelques jours de la blogosphère ... ça fait du bien. Je suis revenue pleine d'énergie ! pourvu que ça dure ;)
Bonne journée Jeanne.
ça fait du bien de lâcher ce monde là de temps en temps
je l'ai fait aussi durant trois jours
Garde ton énergie Brigou , la neige va arriver chez toi , il en faut n'est ce pas ?
Bonne journée à toi également
Oui, à l'époque, on appelait cela la neurasthénie. On ne disait pas "non-dits" mais secret de famille et "on ne lave le linge sale qu'en famille"... "ne pas resté les deux pieds dans le même sabot" était la solution proposée mais on peut pleurer sur son ouvrage et hurler dans le silence de la solitude et de la détresse sans que personne ne vous entende. Une cousine côté maternelle "neuneu" comme ont disait alors ; "faudrait la marier". Une tante côté paternelle qu'on avait fini par appeler Tante Camomille et qui a transmis sa "maladie" a sa fille. Caractériel, grands nerveux, cyclothymique (?), instable, un peu spécial.... voilà ce qu'on disait. Gds-mères ayant élevé leurs enfants pdt la guerre de 14/18, mères nées pdt cette guerre pour élever leurs enfants pdt celles de 39/45... pas le temps de consulter le psy : en avait-on entendu parler seulement ? Il me revient en mémoire l'histoire de la mère de Charles Juliet, écrivain lyonnais, racontée dans Lambeaux. Différente, donc folle, comme Camille Claudel.
oui, la neurasthénie , c'était ça , à toutes les sauces
Combien de femmes ont hurlé en silence , lasse de leur vie si rude , combien d'entre elles ne demandaient seulement des gestes tendres , de l'aide , des pauses
On ne parlait pas de vacances à cette époque , les jours se suivaient , tous identiques , ou presque
la dépression rode toujours , sournoisement ,elle attrape au tournant à la moindre faille
mal du moment ? pas plus qu'avant
il fallait s'en accommoder , ou tirer sa révérence
tu vois bien ces choses là Tatydany
sujet grave : était ce lié à une époque ? est ce un gêne dans une famille ? Il n'y a toutefois pas eu de passage à l'acte. Ds la mienne de famille, on retrouve quelques personnes touchées mais le sujet n'est pas abordé aujourd'hui. C'est seulement moi qui observe et qui ose en parler quelquefois mais je sens que ça dérange. Que de non-dits. J'aime ta façon de parler de ces histoires là avec humanité alors que souvent c'est la honte qui remporte et qui fait nier.
Je ne cherche pas forcément de réponses , je regarde ça avec mes yeux d'adulte , de femme , de mère et me dis que si j'étais née début 1900 , j'en aurais certainement bavé aussi
Continue quand même à questionner , à comprendre
Nous avons la chance d'avoir l'écriture , les échanges nombreux et surtout des traitements adaptés au pathologies
les non dit ....ah ben ça ...
Beau billet rempli d'émotion, Jeanne.
Tu soulèves là un coin de l'emprise immense et très rarement lisse de nos familles, à tous.
C'est drôle d'ailleurs, samedi midi avec la femme de ma vie nous parlions du caractère de nos enfants et nous cherchions la faille chez nous deux, en remontant dans l'histoire de nos deux familles respectives... nous n'avons pas eu à remonter bien loin, mais tout de même...
Bleck
c'est notre héritage , et à cela s'ajoute le caractère qui évolue , heureusement , rien n'est écrit
je suis issue de milieu rural , à 100 % , j'en ai gardé des traces , un certaine aptitude à m'adapter aux climats , aux gens aussi
On a toujours besoin de voir ce que nous avons "donné " à nos enfants , surtout quand ils grandissent
dans ma belle famille , ce sont des bâtisseurs , c'est étonnant à observer aussi
Hier midi nous étions invités à déjeuner chez Paul, notre fils aîné, c'est une première et la journée fut délicieuse...
Avec lui une jolie jeune femme souriante, gaie et insouciante elle s'appelle Rosalie et ce n'est pas un pseudo.
Bleck
Ce n'est pas un pseudo non plus , toutes les personnes défuntes gardent leur vrai prénom ici
nous sommes allés aussi pour la première fois prendre un apéritif chez l'amoureux de ma grande fille
c'est sympa d'être invités n'est ce pas ?
Beau billet et bel hommage.
Ce weekend nous parlions avec mon frère d'une cousine à nous qui vient de vivre des trucs pas très drôle car certains la considère comme incapable de prendre ses décisions elle-même... A été interné l'été dernier sur "décision" d'une autre cousine se donnant des droits... Pfiou.... Y'a toujours dans les familles de drôles d’histoires...
on peut difficilement interner un adulte sans son consentement , mais parfois , certaines personnes fragiles sont persuadées de ne plus être capables de décider
ma tante Louise , soeur de ma grand mère , a fini sa vie sordidement
elle vivait chez un neveu , enfermée dans une pièce , sans télé , sans visites
l'horreur ...
Pas d'enfants , juste une petite pension
y'en a qui sont peu scrupuleux
Oh mais elle a bien été mise à l'hôpital psy contre sa volonté... (elle en est sortie) la cousine lui ayant bien fait péter les plombs... Une histoire compliquée que je ne peux pas résumé ici...
Je comprends ça Mahie
On a tous une faille. C'est le propre de l'Humain. Plus ou moins importante, plus ou moins aggravée par la vie courante. On dit toujours qu'il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade.. mais il existait/existe des riches, malades. De ces maladies que l'on tait, que l'on estime presque honteuses car difficiles à comprendre pour les proches et encore plus ardues à soigner.
Tout ce qui touche à la maladie mentale fait peur. On a souvent évoqué ces internements "à la demande" des proches...
J'avais écrit un billet sur ce sujet : http://www.mariefloraline.canalblog.com/archives/2011/07/26/21661404.html
merci pour le lien , ton billet est bien réaliste , on croirait se trouver dans une nouvelle de Maupassant
triste réalité
je ne renie pas mes origines ,bien au contraire
la maladie mentale , la dépression rôde autour de moi , je me protège tout en essayant de garder un lien avec ceux qui sont touchés
sans juger , surtout sans juger
Ce billet me bouleverse et me ramène à ma propre histoire familiale... alors je ne peux rien dire de plus, juste je t'embrasse bien fort.
je te comprends Praline
je t'embrasse également
Les femmes s'épuisaient à se dévouer pour leurs petits, les journées étaient longues, très longues. On n'avait pas encore fait les progrès en médecine comme maintenant. Ils subissaient sans pouvoir rien faire pour changer les choses. Moi-même j'ai des problèmes : ma glande thyroïde qui me reste après mon opération du 1er février ne fonctionne plus assez, je grossis. Je fais partie d'une association Vivre sans thyroïde et je découvre des cas. Quand cette glande rame tant, on peut faire de la dépression. Si on se fait soigner pour dépression alors que çà vient de la glande, alors on ne guéri jamais totalement. On reste fragile. Il faut alors demander au médecin une analyse de sang pour mesurer la TSH, la T4 L et la T3 L. Même maintenant avec Internet, on ne sait pas tout, on peut chercher quelquefois longtemps pourquoi on est si fatigué, pourquoi on est si malade et pendant ce temps là on s'épuise encore plus et on risque d'aggraver la situation. Alors, il y a encore 50 ans, c'était pire. Les personnes âgées ne vivaient pas longtemps et ne profitaient pas beaucoup de leur retraite. Bon week end Jeanne.