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hier

  • Les meubles grinçants

    Mes parents avaient commandé un lit double pour Louis à la Redoute .

    Le lit est arrivé en morceaux dans un camion et mon père l’a monté vite fait mal fait

    Le lit grinçait, bougeait, le lit était bruyant dès que Louis se tournait

    Mes parents râlaient contre la Redoute , mais n’ont jamais cherché à consolider le lit , moi j’aimais bien le bruit du lit , ça m’assurait la présence de mon frère

    Parfois on dormait ensemble, c’était rare , on racontait des âneries en riant comme des malades , on imitait les gens , nos tantes , des voisins , des profs …

    Dans la chambre que je partageais avec Flo il y avait un secrétaire , modèle années 60 , aucune valeur

    Une penderie, pas très fournie , on y accrochait des robes de chambres , des robes qu’on ne portait jamais , un manteau … et puis , un espace rangement avec une porte qui se rabattait pour faire bureau

    C’était toujours en bazar, classeurs, livres scolaires et collections de tout genre

    Je ne travaillais jamais ou très rarement dans cette espace , pas de lumière , pas de siège … j’aurais adoré dessiner mais pas de feuilles blanches , alors je me contentais de poser en vrac des trucs

    Au dessus une vitrine avec des bibelots cadeau de communion , vierges de Lourdes , et trucs rapportés des promenades scolaires

    En bas, trois tiroirs qui fermaient mal , nos vêtements en vrac , pulls , lingerie , pyjamas ..

    Le secrétaire fermait mal , les boutons clés sortaient de leur emplacement , c’était pas pratique

    Louis avait une grande armoire, assortie à son grand lit, avec des cales au pieds , elle fermait très mal , un truc de fou !

    Mon père montait les meubles comme une cabane  à cochons , trois coups de marteau, ma mère grognait , elle disait qu’il n’était pas minutieux , le buffet de la salle à manger s’était effondré en pleine nuit , ça l’avait un peu traumatisée

    Chez nous, les meubles grinçaient , parlaient , les cloisons trop fines laissaient passer tous les bruits , on vivait presque tous dans la même pièce ..

    Mais nous étions protégés, physiquement et affectivement

    Il régnait dans la maison aux meubles grinçants beaucoup de chaleur , on riait , on s’engueulait aussi , mais pas longtemps

    Aujourd’hui , quelques meubles sont toujours là , d’autres ont été démontés pour faire des cabanes pour les cochons .

     

  • La gamelle

    Chaque soir, mon père remplissait sa gamelle

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    photo du net

    Il mettait un reste du repas de midi , légumes , viande et le lendemain , réchauffait ça dans un local certainement prévu pour manger, à l’abri , dans une gare peut être

    Il travaillait sur les voies de chemin de fer , embauché dans les années 60 , il reconnait aujourd’hui que .. certains de ces collègues n’étaient pas des fous de boulot , pour dire les choses clairement , certains de foutaient presque rien de leur journée

    Ils travaillaient en équipe, y’avait un chef , mais peu de pression

    Alphonse avait un rituel , en arrivant le matin , il allait chercher du pain frais pour son casse croute

    «  vous faut quelque chose ? »

    Les autres passaient commande, il revenait plus tard , après avoir fait un pause café , c’était son rôle

    D’autres bossaient, personne ne s’étripait , pas de burn out , en fin de mois la paye tombait , à 17 h au plus tard tout ce monde là était rentré à la maison , ça laissait du temps pour les bêtes et le jardin

    Ma mère râlait parfois quand y’avait rien pour la gamelle, fallait prévoir

    Lorsque Jérôme a pris son boulot à Laval , pas de restaurant d’entreprise

    Il rentrait tous les midis , il aimait bien cette coupure

    J’étais en congés parental , je cuisinais tous les midis , tous les soirs

    Puis , la boite a muté , plus de trajet , il rentrait tard , parfois treize heures

    J’en avais marre de penser à tous les repas de midi , les enfants allaient au restaurant scolaire au moins une fois par semaine

    Et puis , Jérôme a commencé à emporter ses repas

    Il prenait une petite boite qui se glissait dans un sac isotherme

    Un reste de la veille , parfois une boite cuisinée

    Je lui ai acheté une boite spéciale chez le suédois, trois contenants indépendants

    C’est très tendance il parait la boite à emporter son manger dans les entreprises

    Depuis quelques mois, il déjeune aussi au foyer de jeunes travailleurs, il y croise mes copines

    Lorsque je travaille au centre de formation, j’emporte ma salade et je mange seule dans ma salle de cours

    Quand j’interviens au lycée, je rentre chez moi

    Je n’ai pas de collègues, je mange seule le plus souvent

    J’aime bien déjeuner de temps en temps avec des copines au foyer aussi, où dans un petit restau

    C’est un moment privilégié

    Je ne vais jamais dans les cafétérias des galeries marchandes , c’est pire que tout ..

    Je me souviens soudain de la cafétéria de Continent à Cherbourg début des années 80 … Une révolution

     

     

  • Les Pidani

     

     

    Un soir , un nuit , des hommes qui boivent un coup dans le village , des américains , des gens de la campagne , la Libération , le calva sans doute et vlan ! un coup qui part, accident, balle, sang , hôpital , fatal …

    Germaine prend son vélo pour aller voir son mari à Cherbourg, elle apprend qu’elle devra élever ses quatre enfants toute seule …

    Sur la chemin du retour, les gendarmes lui demandent ses papiers, elle n’a rien sur elle, elle est veuve, elle s’en fout

    Ils lui indiquent qu’elle pourra toucher une pension, ses enfants deviennent pupille de la Nation

    Pas de confort dans la maison, quelques vaches , de la volaille , et huit mois plus tard , deux garçons voient le jour

    Ils auront chacun un prénom, mais les jumeaux seront appelés les Pidani

    Ils ont grandi dans le hameau, n’en sont jamais sortis, avec leur frère , et les trois sœurs , dont Louisette qui épousera plus tard le cousin Henri.

    Je me souviens encore, de la ruelle, du lavoir , de leurs silhouettes , ils ne parlaient pas , poussaient des gémissements , vivaient toujours avec la vieille qui avait enduré la guerre

    Elle avait amassé les sous dans des boites en métal, n’avait pas eu idée de changer l’espèce quand le nouveau franc est arrivé

    A sa mort, il a fallu se rendre à l’évidence, les économies étaient bonnes à jeter

    Les pidani sont toujours là, jamais marié , les sœurs ont appris la couture et ont fait leur vie

    On disait que c’était arriéré dans le Hameau, loin de l’église , de l’école , avec pour seule compagnie les vaches et les voisins , des histoires , des fâcheries , des deuils …

    C’était sombre , c’était humide , c’était brumeux dans le hameau

    Je revois des images douces moi, j’y ai passé des vacances chez mes grands parents qui vivaient là aussi

    Ma mère a raconté en détails cette histoire à Ellen , elle ne savait pas combien l’enfance de sa grand-mère avait été douloureuse , elle ignorait les brimades , les coups , l’absence totale d’affection …

    Moi-même, j’ai encore du mal à imaginer son passé , son adolescence si cruelle , mais j’ai les lieux en tête , j’ai les maisons en mémoire

    A quoi bon savoir d’où l’on vient ?

    A-t-on besoin d’entendre les récits de nos aieuls ?

    Je ne fais pas partie de ceux qui mettent leur histoire dans un sac et qui le balancent par-dessus bord

    Je ne fais pas partie de ceux qui ressassent et ruminent le passé non plus

    Chacun prend, reçoit et s’accommode de son passé

    Mes racines sont rurales et rudes, j’ai fui la campagne à cause de tout ça , je n’y retournerai jamais pour y vivre

    Les années 40 50 furent des années traumatisantes, les années 60 ont permis l’accès au confort , à l’émancipation , aux lois protégeant les enfants

    Faut juste pas oublier que ça fait seulement 65 ans , pas un siècle , pas une éternité , que nos parents sont les témoins de cette période sombre et endeuillée

    Faut juste écouter, comprendre et se réjouir de ce qu’ils sont devenus , de la force incroyable qu’ils ont puisé au jour le jour

    Les octogénaires sont des gens honorables

    Faut juste les chouchouter …

  • Bricquebec

    Mon père conduisait l’ami 8 sérieusement , au « bourg neuf » , clignotant à droite , direction Breuville , puis Rauville la Bigot et son église , son marchand de chaussures , traversée de Quettetot , un trou , rien que d’y penser , pire que Breuville , nous arrivions après deux virages et une descente ,Bricquebec.

    Je n’allais pas à Bricquebec avec mes parents pour me promener, j’y allais voir le docteur

    Souvent, très souvent

    Je n’aimais pas ça , bien sur , on me trouvait des trucs improbables , je me souviens rarement d’avoir décrit une douleur , j’allais voir le médecin parce que j’étais malade , tout le temps il parait …

    Le docteur, un jeune médecin un tantinet vaniteux me donnait des tas de trucs à avaler et régulièrement , prise de sang

    J’allais faire la prise de sang à la pharmacie, il fallait attendre, je regardais les présentoirs à rouge à lèvres , des trucs en plastique , des pots , des étagères remplies de drogues comme disait ma grand-mère

    Le pharmacien était un homme sérieux en blouse blanche

    Je me souviens , il m’emmenait dans une petite pièce , posait un élastique qui me serrait le bras , douleur , puis , piqure ,liquide rouge  ,flacon

     je disais rien, j’étais une gamine docile

    J’ai bouffé des tonnes de médicaments en provenance de Bricquebec et une fois dans l’année , on y retournait voir mes cousines affublées de robes à flonfons sur les chars de la Sainte Anne

    Je détestais Bricquebec, tant de souvenirs  ternes , gris , mortifères .

    Un jour , j’ai tout balancé

    Tout

    Les médicaments, la famille, j’ai dit «  stop , fini « 

    Et j’ai commencé à vivre

    Pendant des années , je n’ai plus voulu remettre les pieds à Bricquebec

    J’y suis retournée une fois , au marché , j’avais envahie d’un sentiment amer , je ne pouvais plus revivre un tant soi peu tous ces souvenirs

    Je n’ai jamais idéalisé mon enfance

    Mais , mais , tout cela été fait pour me protéger , mon père avait peur , il me pensait malade , il faisait tout pour me soigner.

    Et c’est pour cela que j’ai grandi dans une sécurité constante, mes parents ont toujours eu le souci de s’inquiéter pour leurs enfants , toujours , aujourd’hui encore

    J’ai appris à lutter contre les maux , à soigner mes « nerfs « 

    On disait ça «  c’est les nerfs « 

    J’étais trop émotive, trop réservée

    Il fallait juste qu’on me donne la force de sourire, puis de rire

    Je ne suis jamais malade , jamais

    Les petits maux , je les soigne moi-même

    J’ai le sourire aux lèvres, le rire dans le ventre , les yeux qui pétillent

    Je suis heureuse de ce que je suis devenue

    Il fallait juste quitter Bricquebec

    Et le méchin

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    photo du net

  • Jean Louis

     

    chapeau-fedora-feutre-classiq.jpgIl portait un chapeau, une barbe, des santiags ,lunettes , cheveux longs…

    La première fois que j’ai vu Jean Louis, je me suis dit «  ouch ! «  qui c’est celui là ? »

    Je ne sais plus où exactement, dans une école , maison familiale , il m’avait recrutée pour une colo , lui était directeur.

    L’équipe d’animation ne me plaisait pas beaucoup, mais bien sur, j’étais partie quand même , avec une quarantaine de gamins dans un centre à Sallanches ,une maison de bric et broc, insalubre et vétuste

    J’avais vite sympathisé avec Léo , et Jean Louis nous aimait bien et il nous faisait rire , un vrai personnage ,une caricature , il était … drôle sans le vouloir .

    Il  avait quand même des travers , il vivait dans les jeux de rôles , donjons et dragons , ne parlait que de ça , il était assez provoquant mais sympathique , un peu fatiguant à la longue , avouons le .

    Sa femme était là aussi, avec deux petits enfants, je me souviens , elle ne travaillait pas avec nous , elle regardait le troupeau , amusée , agacée aussi , Jean Louis aimait bien les filles , comprenez ..

    C’était en 1985

    L’année d’après , Léo et moi avions accepté de retravailler avec Jean Louis , une colo dans le Calvados avec des gamins assez durs , des conditions difficiles

    Notre relation s’était dégradée, il avait choisi une adjointe peu compétente, à la fin du séjour , nous avions du nous rendre à l’évidence , c’était fini …

    J’avais décidé de travailler l’été avec Arnold et c’était mieux comme ça

    Ayant une bonne mémoire des noms et prénoms, j’ai gouguelisé son nom , image , le même , pas changé , toujours le chapeau , la barbe un peu grise , cheveux longs

    Il milite en politique, travailleur social engagé, trente ans de plus , le même bonhomme…

    C’est un message d’Eric qui m’a fait penser à ce Jean Louis, nous avons tous croisé des personnages de ce genre

    Les cow boys des années 80

    Sourire …

     

  • Jeff , Bibi et François

     

     

    Au lycée , j’avais mes copains   , Chriss , Chloé ,et d’autres filles de la classe

    Nous passions beaucoup de temps dans les bars de Cherbourg à écouter de la musique en racontant nos états d’âmes

    Et puis j’ai connu d’autres lycéens durant des week end de jeunes chrétiens, des gars du lycée privé de Cherbourg

    Il y avait Ludovic , dit Bibi , un garçon charmant , adorable , et puis Jeff , beau mec , plus distant

    Et François, drôle, sympa, énergique

    Je les aimais beaucoup ces trois là , ils avaient une copine adorable , Violaine, une jolie  rousse

    Étrangement, on ne croisait jamais dans les rues de Cherbourg, pas de lieux communs , je ne voulais pas faire croiser mes réseaux , Jeff , Bibi et François , je les gardais pour moi

    Nous nous écrivions par courrier, des lettres, des vraies, de longues lettres de copains , c’était étrange non , les lettres , c’est plutôt un truc de filles

    Ils ont passé leur bac dans mon lycée, je me souviens les avoir vus sur la cour

    Et ils sont partis, ils ont quitté la ville

    J’ai revu Jeff , il était étudiant kiné , marié très jeune avec une fille .. enfin, une erreur , le couple n’a pas tenu longtemps

    Et Bibi et François  ?

    En repensant à eux il y a quelques semaines, je me suis demandée ce qu’il étaient devenus

    Jeff est kiné dans le Cotentin

    Aucune trace de Bibi

    Quand à François…. Devenu historien, éditeur dans une grande maison( après quelques fouilles sur le net) , reconnaissable , un nom peu répandu .

    Et ben !

    Ça alors …

    Pas la peine d’imaginer un jour le croiser

    Peu importe, ce fut de belles rencontres d’adolescence, de bons souvenirs dans les tiroirs …

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  • Le piano sans jambes

     

    Premier vide grenier de la saison , le soleil réchauffe les exposants dans ce village saumurois

    Je ne cherche rien , juste le plaisir de flâner

    Pour autant , je craque pour deux statuettes africaines

    Je n’irai jamais en Afrique , pas envie , trop la trouille , j’aime pas la chaleur , parait que c’est formidable , pas de regrets , je n’irai jamais en Afrique , mais j’adore les sculptures en ébène ou autre bois , j’ai trouvé mon bonheur , c’est bien

    Devant un stand de vieilleries , mon œil est attiré par un petit piano

    Bon sang !! mon cerveau fait un saut dans le temps , je l’avais complètement oublié

    J’avais 6 ans , peut être , j’avais reçu ce piano en cadeau , par qui , quand ? aucun souvenir

    Le premier pied avait cédé , détaché du socle , puis un autre , fendu en deux

    J’avais gardé ce piano dans pieds , il avait un son de rien, des touches qui laissaient sortir un bruit , bizarre , un truc déglingué

    Je n’ai jamais appris à jouer d’un instrument

    Pas de regrets , sinon , je l’aurais fait , même tard

    Je ne sais pas qui a jeté ce piano sans jambes , je l’ai oublié

    Je l’ai pris en photo et  , j’ai passé mon chemin ..

    En fin d’après midi , je suis retournée avec Betty et Elliott , et Ellen au vide grenier

    Les marchands étaient en train de remballer

    J’en ai offert cinq euros

    Je suis repartie avec le piano vintage

    Je ne sais pas si je le garderai …

    Je l’aime bien

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  • Signes extérieurs de jeunesse

     

     356_002.jpgLes lycéens ne se démarquent pas qu’avec leurs vêtements ,de marque , ils ont un autre objet pour montrer leur standing : le smartphone

    A tous ceux qui naïvement pensent qu’il faudrait un retour à l’uniforme pour éviter toute ségrégation sociale , n’oublions pas         aussi , les sacs à dos , les chaussures , les montures de lunettes , les coupes de cheveux ….Tout est bon pour se distinguer !

    Au lycée  nous n’étions pas trop regardants sur nos fringues, pas de téléphone , évidemment , mais y’avait quand même un truc qui donnait un peu d’éclaircissement sur le niveau financier de chacun de nous : les marques de cigarettes

    Nous étions presque tous  fumeurs, on fumait partout , dans les couloirs , au foyer , c’était comme ça , on ne voyait pas trop ou était le problème ..

    Les plus fauchés roulaient leurs cigarettes, personnellement je n’ai jamais pu supporter ce gout là , et le papier sur les lèvres , beurk !

    Personne ne fumait de brunes, ni gauloises ni  gitanes, c’était réservé aux gars de l’Arsenal  et aux pécheurs

    Les blondes sinon rien !

    Lydie fumait des piter rouges , Maryline la déprimée chronique fumait des royale mentol , Chriss aimait les rothemanes bleues , Chloé les Maleboreau , et fut un temps où j’achetais de cammelle

    Mais c’était trop fort quand même

    Quand les finances étaient en bas , nous achetions des bastosses , beurk ! immonde, le paquet mou qui se pliait dans le fond de la poche , il n’était pas rare d’en retrouver une ou deux cassée en deux

     De temps en temps , pour frimer , nous achetions des Jypéaisse noire ou des Deuxnille , là , c’était le grand luxe , la vie de château , on était bête , elles n’étaient pas meilleures que d’autres , mais bon , ça faisait chic

    J’ai opté rapidement pour les rothemanes rouges et j’y suis restée fidèle jusqu’à ce jour de juillet 2013 où je décidais de mettre un terme à cette aventure , sans regrets et avec une certaine fierté

    Soène m’a inspirée ce billet alors qu’elle parlait de chats , allez comprendre !

  • Les rails

     

     La gare de Cherbourg était un terminus, tout le monde descend, pas de risque de louper l’arrêt, pas la peine d’attendre le train, sitôt en gare, je montais dedans

    J’aimais monter dans les trains en avance, regarder les passagers, écouter les bruits de la locomotive

    Pas de passerelle ni passage souterrain, nous passions d’un quai à l’autre, les butoirs étaient impressionnants, grosses masses métalliques, des stops géants

    Quand je prenais le train dans d’autres gares, je regardais les rails

    Ces lignes infinies, cette illusion optique, le fameux point de fuite, qui nous faisait croire que les  rails se rapprochaient l’un de l’autre

    Je n’aimais pas les rails, ne comprenais pas trop comment ils étaient installés, je les voyais scellés aux traverses, ces grands morceaux de bois qui sentaient la résine, qui suintaient sous la chaleur

    Mon père rapportait des traverses et bricolait des cabanons avec ça, c’était lourd une traverse, je n’ai aucune idée du comment elles arrivaient là

    Les rails pouvaient m’angoisser , ils menaient nulle part , ou plutôt leur chemin semblait infini , pas de repères , quelques feux , panneaux , droit , tout droit , quelques tunnels , des lumières ,du noir , je n’aimais pas les rails

    Je me souviens des passages à niveaux,  peur de passer sous le train, que la  barrière rouge  se referme sur le capot de la voiture, peur d’être happée par un train

    Les rails sont de lourds morceaux métalliques qui se trouvent parfois ensevelis sous les herbes folles, quand la ligne ferme, on n’enlève pas les rails, c’est étrange de les laisser là

    Pastelle m’a inspirée ce billet par cette photo troublante

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    faudrait pas que je déraille …

  • L'arcopal

     

     La belle vaisselle ne sortait que pour les grandes occasions, il n’y avait pas beaucoup de grandes occasions pour autant ; le dimanche, on ne sortait pas la vaisselle de mariage, et pour les banquets, y’en avait pas assez

    Les voisines, les oncles et tantes, les grands parents avaient presque tous de la vaisselle en arcopal

    J’aimais bien regarder les motifs

    Des fruits chez le tonton Félicien

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    Des myosotis chez un cousin

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    Les marguerites je les trouvais ternes

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    Mes motifs préférés c’était les roses, rares, élégantes

    Nous n’avions pas d’arcopal, ma mère avait un service défraichi qu’elle sortait tous les jours, un léger liseré doré

    Elle l’a toujours …

    Je casse beaucoup de vaisselle, j’en rachète régulièrement

    J’avais acheté un service il y a presque 20 ans, en arcopal, des petites fleurs, je les aimais bien

    Il me reste quelques assiettes à dessert

    J’ai désormais opté pour un modèle simple, blanc de chez Luminarc

    J’en ai une dizaine pour les repas « ordinaires » ça me va, faut pas trop de volume pour le lave vaisselle

    Pour les banquets, porcelaine blanche depuis plus de 20 ans

    Les assiettes sont devenues rectangulaires, comme les lunettes, carrées ou rondes

    Ça prend de la place dans nos bahuts tout ça

    Mais manger des mets délicieux dans une assiette transparente de cantine … quand même

    C’est comme boire du bon champagne dans un gobelet en plastique

    Je n’aime pas …

    Rester un minimum cohérent

    L’arcopal à motifs seventies est vintage

    Je ne cours pas après

    Quand je revois les motifs, les souvenirs remontent

    Et je referme la porte du grenier …

    Jusqu’à la prochaine fois

  • Le nez en l'air

     

     

    fotolia_5196707_M-1024x728.jpg Durant l’été, il fallait bien s’occuper, nous n’avions pas beaucoup de distractions, alors on levait le nez en l’air et on regardait passer les avions

    Louis connaissait le Paris New York, un Boeing qui le fascinait, il rêvait d’être pilote de ligne, de train, et même de chariot élévateur

    «  Celui là il va à Jersey « 

    Chacun donnait son commentaire

    «  Oh il est bas ! »

    Et les lignes se dessinaient dans le ciel nuageux, c’était joli

    Des traces de grands voyageurs

    Parfois passait un hélicoptère

    Un rouge «  c’est les pompiers ! » peut être un  nageur en danger sur les plages

    Un kaki «  c’est l’armée « 

    En manœuvre, parce que ce n’était pas la guerre quand j’étais enfant

    Un bleu «  c’est les gendarmes ! »

    Attention, y’en a qui sont recherchés

    Un blanc : « c’est le pape ! »

    Le pape,  comme le pape faisait régulièrement des virées en survolant le Cotentin

    Au pire, un pèlerinage tous les 15 ans à Lisieux, mais de Rome, il passait par là ?

    On y croyait tous à l’hélico du Pape…

    Un jaune, aurait été celui d’un facteur pressé, un arc en ciel celui d’un gay en partance pour San Francisco et celui qui survolait nos terres en rase motte, c’était celui de Philippe de Dieuleveult qui chasse un trésor

    J’avais peur de monter en hélicoptère

  • Faire tourner les verres

     

     

     

    Nous avions une quinzaine d’année, avides de nouveauté et d’expériences, nous nous adonnions à des séances de spiritismeverre-picardie-duralex-22cl.jpg

    Installés autour d’une table, en formica, sans toile cirée ni nappe, nous posons un verre  à l’envers, et installons des papiers tout autour sur lequel sont écrits une lettre

    Après un moment de concentration dans un silence royal, nous posons notre index au dessus du verre et attendons patiemment que celui ci se déplace

    Il commençait à bouger un peu, sous l’influence de notre mouvement, et il arrivait parfois que le verre s’emballe et file à toute vitesse, nous le suivons dans la même direction

    Je me souviens qu’on posait des questions, mais je ne me souviens de qui, de qui, pour qui ?

    Il arrivait parfois qu’un membre de la tablée soit nocif, et là, impossible de lancer le verre

    Nous avions joué avec Mrs Potter, une vieille anglaise qui en raffolait, ma mère était avide de ces soirées là, allez savoir pourquoi, c’était une occupation comme une autre

    Un soir, durant un stage BAFA, ou plutôt une nuit,  un gars qui était beau comme un dieu, nous avait bluffés en se concentrant, il parvenait à déstabiliser un corps debout, qui d’abord penchait, puis tournait

    Je me souviens avoir eu peur, j’ai failli tomber tant j’avais perdu prise sur mes jambes, mon buste qui s’était mis à virevolter comme un manège, sans contrôle apparent

    Est-ce que je le faisais inconsciemment, j’en sais rien, c’était dans une ambiance nocturne particulière, ces nuits où on ne dort que quelques heures, j’adorais ça

    On ne se shootait pas, jamais vu circuler un joint ou un truc comme ça …

    Dans le même  genre, dans les années 80 alors que je fréquentais les courants du Renouveau Charismatique, on nous mettait en garde contre les groupes de rock qui auraient volontairement intégré des messages subliminaux dans leurs textes

    La manipulation consistait à écouter un disque vinyle à l’envers et on pouvait entendre des passages sataniques

    Led Zeppelin, les Beatles, ACDC, auraient usé de cette ruse pour …

    Je n’en sais rien

    Certains prédicateurs canadiens ou américains parcouraient le monde pour prévenir les jeunes du danger des groupes de rock, ça fichait la trouille, mais quand j’ai entendu "Stairway to Heaven», je n’ai pas eu peur de vendre mon âme au diable, j’ai trouvé ça magnifique cette intro, toute douce, j’aime encore

    Je n’ai jamais fait tourner les tables , ni les serviettes , j’ai vu la tombe d’ Allan Kardec au Père Lachaise , je n’ai jamais parlé avec les morts , je n’ai pas d’avis sur un vie après , j’ai croisé un exorciste , un curé qui faisait un peu peur , j’avais oublié cette période de jeunesse ou nous étions attirés par le spiritisme , sans pour autant tenter le diable

    L’inconscient collectif peut nous emmener sur  des chemins étranges

    Ça passe …

    Alors que j’avais fini d’écrire ce billet, et que je faisais des recherches pour un autre billet, une musique s’est déclenchée sur mon PC, aucune fenêtre ouverte, pas de lien avec Youtube

    Un couplet, un seul

    Et la musique c’est arrêtée

    C’était Stairway to Heaven

    Très troublant quand même non ?

    J’ai appelé Jacques Pradel

     

  • La pile électrique

     

     

    A cette époque, les coupures de courant étaient fréquentes, alors quand nous nous retrouvions dans le noir quelqu’un disait «  va chercher la pile »

    La pile, la lampe de poche rectangulaire était toujours au même endroit, dans le tiroir du buffet de la cuisine, pas question de la chercher dans ces moments là 

    Alors, mon père allait chercher la lampe à gaz qui soufflait fort et on attendait que ça revienne

    Plus de télé, au lit !

    La lampe était usée, la peinture métallique était écaillée, je m’amusais à lui ouvrir le ventre, je retirais la petite ampoule et la posais sur les deux lames du haut et ça s’allumait

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    Mon père n’aimait pas qu’on joue avec, « ça use la pile «  les fameuses piles plates qui ne se rechargeaient pas à l’époque

    Il possédait aussi une grosse lampe SNCF qu’il prenait quand il partait déneiger les voies en plein hiver, interdiction formelle d’y toucher, la consigne était claire !

    On avait la permission de prendre la pile quand on allait à la messe le soir, à la veillée des cendres, du vendredi saint, on éclairait le chemin avec çalanternewonder.png

    Maintenant, c’est moderne, y’a des réverbères et des maisons ont poussé

    Personne n’avait songé à la lampe à dynamo, idéale convenons en, un coup de manivelle et hop, la lumière en cadeau !

    J’ai téléchargé « l’application lampe torche «  sur mon zifon mais j’en abuse pas, attention, ça bouffe la batterie, alors c’est le comble, sans zifon je ne fais rien hein ?

    Vu que je vis en ville, pas besoin d’éclairage individuel, y’a e qu’il faut dans les rues, je ne fais plus de camping, je déteste ça, pas de réchaud à gaz qui est toujours vide, pas de briquet, pas de matelas qui se dégonfle, finie la vie de baroudeuse

    Les pièces de nos maisons sont éclairées dans les moindre recoins, quel changement quand même !

    Oui, trop éclairées, peut être bien …

    Les pannes de courant sont assez rares, quand elles arrivent, c’est la panique.

     

    photos du net

  • 1981

     

     107962_francois-mitterrand-sur-les-champs-elysees-le-21-mai-1981.jpg1981, j’ai plus de quinze ans, l’âge de l’insouciance, l’âge des premiers amours.

    Rien de tout ça, ma vie n’a rien d’un poster de David Hamilton, je suis en seconde, la plupart des élèves de la classe font un voyage en Allemagne, je ne suis pas de la partie, pas possible de recevoir une correspondante

    Bob Marley est mort

    Nous vivons à six dans la petite maison

    Depuis quelques temps mon grand père ne supportant plus la solitude est installé chez nous, ma mère a le cœur brisé de le voir si malheureux depuis le départ de notre grand-mère, la petit chien blanc est là aussi

    Louis lui a donné sa chambre, pas moyen de faire autrement, il a installé son lit dans une pièce de passage qui monte à l’étage

    C’est tout petit, il n’a pas de bureau pour travailler

    Les tensions montent de mois au mois

    Mitterrand arrive au pouvoir

    Y’en a qui tremblent.

    Je suis envahie par la culpabilité, je ne supporte plus la présence de mon grand père, il a ses habitudes, ses émissions de télé, il est toujours dans la maison, ne sort presque plus

    Ses filles le prennent un peu en week end, il veut revenir ici auprès de Martha, elle l’accepte comme il est, ne lui fait jamais de remarques, s’occupe de son linge, des repas.

    Sa vue baisse, il ne peut presque plus lire le journal

    Je partage ma chambre avec ma sœur, c’est dur

    Le samedi soir elle va au bal ou en boite, je suis tranquille, je peux écouter Balavoine tard le soir, regarder Polac et les Enfants du rock, j’aime la solitude, l’indépendance

    index.jpgJ’entends mon grand père qui ronfle dans la chambre d’à côté, je dois la traverser sa chambre pour rejoindre la mienne, pas de chauffage, fait froid …

    Ma vie de quinze ans est pesante, j’attends, quoi ? Du neuf, de partir, de vivre autrement, mes journées sont fatigantes, trop de trajets, d’heures perdues, je fais des crises d’angoisse

    Je regarde des séries télévisées, Pause Café, j’adore, le soir, nous regardons le Collaro show, ce n’est pas fin mais ça détend12_3k31f.jpg

    J’écoute la radio, »confidence pour Confidence «  Jean Schultheis, je ne vois pas du tout la tête qu’il a. ne vais jamais au cinéma

    Je commence à me faire des copines au lycée, c’est déjà ça

    Juillet sera un tournant, je vais à Lourdes à un rassemblement international de jeunes

    A mon retour, j’ai le cafard, c’est violent, je reçois une carte de Félix, je suis tombée amoureuse pas de Félix , je reverrai le garçon à l’automne, je pense à lui sans cesse

    Je feuillète le magazine Christiane, et rêve d’un mieux , j’écris dans mon carnet que je cache sous mon matelas

    Je n’en veux à personne

    Je veux juste une autre vie

    1981, j’ai presque 16 ans …

    Une vie pas marrante.

    Mon père propose d’aménager un espace pour mon grand père, il ne veut pas, tout va moins bien de jour en jour, on ne peut plus cohabiter

    Je passe en boucle les chansons de Balavoinemon fils ma bataille.jpg

    C’est mon ami en secret

     

     

     

  • La cantine

    A l’école primaire, nous n’avons jamais déjeuné à la cantine

    Jamais

    Ma mère était toujours à la maison le midi, le repas était prêt , on faisait la vaisselle à tour de rôle

    Au collège, nous allions à la cantine tous les jours

    Il fallait faire la queue devant le réfectoire, il n’y avait qu’un seul service, notre hantise était de sortir tard du dernier cours et  devoir boucher les trous

    On courrait pour attendre devant la porte

    Les pionnes ouvraient les vannesverre-duralex-numero.jpg

    Elles étaient deux

    Y’avait la précieuse, mademoiselle Cottecolino , elle répétait 65 fois par jour «  mais enfin , vous allez un peu vous taire ! »

    Elle n’avait pas l’autorité de sa collègue Mademoiselle Grossein , une petite assez carrée que les élèves craignaient plus

    Dans la cantine, ça sentait le gras et le détergent

    Nous nous installions par table de huit, si possible avec des connaissances , pas de copines , je n’avais pas d’amies au collège

    On redoutait de se retrouver avec des rustres ou des élèves de CPPN

    On avait peur de tout

    La nourriture était plutôt bonne, la grosse dame poussait son chariot et faisait valser les plats en inox en bout de table

    On se servait

    J’aimais bien la sauce moutarde de la laitue

    On pouvait aller chercher du rabe en cuisine, impensable aujourd’hui sans gants , charlotte et couvre pieds

    Nous ne boudions pas la nourriture, on avait faim, on mangeait de tout je crois

    La hachis Parmentier était délicieuxI-Grande-16503-plat-a-rotir-inox-45-cm.net.jpg

    L’ambiance était assez pénible, c’était bruyant , très bruyant et stressant

    Au lycée, c’était mieux, on pouvait quitter la table quand on voulait

    Régulièrement, je déjeune au foyer des jeunes travailleurs, pourtant je ne suis plus toute jeune et je ne travaille plus

     c’est très calme , système de self

    J’aurais aimé ça au collège

    Plus de place, et deux menus au choix

    Ils ont ce privilège là nos enfants

    Mais les repas sont souvent préparés en barquette dans une centrale

    C’est pas terrible..

    J’ai échappé à ce patronyme assez lourd à porter : Grossein