Les premiers souvenirs de livres remontent à la classe préparatoire, les albums du Père castor, Poule Rousse et Perlette
J’ai appris à lire en un mois, c’était un jeu, une évidence, aucune difficultés, une envie
Mes parents n’avaient aucun livre, pas un roman, pas une encyclopédie, juste un vieux Larousse noir et blanc, Télé poche et le catalogue de la Redoute
Nous avions quelques albums, Alice au pays des merveilles, Robin des bois …et à chaque sortie en train, j’avais le droit de choisir un livre de la Bibliothèque Rose
J’aimais bien Fantômette et le Clan des sept
Je rêvais de remplir la vitrine de notre secrétaire tout branlant, il attend encore.
A l’école je lisais dès que je pouvais, tout, j’adorais ça, je me souviens du voyage de la famille Fenouillard
Une petite bibliothèque fut installée à côté de la Mairie
Il n’y avait rien de captivant, quelques BD et des livres poussiéreux
Je ne réclamais pas de livres, je ne réclamais rien, jamais, comme ça je n’étais pas déçue de ne pas recevoir
La bibliothèque du collège était toute petite
Pour y rentrer, nous faisions la queue, les élèves se bousculaient, il y avait plein de tables au milieu, et on n’avait pas de place, 15 grand maximum pour un collège de ZUP, on se collait à terre, avec l’éternel refrain de la pionne « vous allez vous taire ! «
La bibliothèque était fermée le midi, nous passions notre temps après la cantine réfugiés dans les toilettes des filles, le préau était assailli par les joueurs de foot, il pleuvait six mois dans l’année
Je n’avais rien à lire, personne pour me conseiller, à chaque exposé c’était un cauchemar, nous n’avions aucune source d’infos, rien..
Je puisais une fontaine aride, le peu de culture virait au cauchemar
Petit à petit je ne portais plus d’intérêt aux apprentissages, je me réfugiais dans les mots croisés
Au lycée, j’ai capitulé
Je ferai un bac littéraire et je serai inculte
J’ai réussi
Je ne lisais aucun livre, même pas ceux que les profs nous imposaient
Je mettais rarement les pieds au CCI (aujourd'hui j’y aurais retrouvé Véronique )
J’écrivais des tonnes de lettres, j’en recevais beaucoup, c’était mon grand plaisir
Mes heures creuses, je les passais au foyer et au troquet
C’était ma revanche, mes compagnons étaient Maxime et Renaud, princes rebelles de la chanson, mes héros..
J’ai fait de brillantes études, j’étais surestimée, adulée dans mes stages par les professionnels, mes formateurs.
Je n’avais jamais connu ça, jamais, je recevais des compliments, des éloges
Tout ça pour ça, que j’étais fière d’avoir tenu bon..
Mais je ne savais plus lire, j’étais incapable de me concentrer, de retenir mes lectures, je survolais, je planais sur les œuvres.
Je me suis lancée dans toute autre chose, la création, le bricolage, puis la musique baroque
J’ai durant deux années écoutées des œuvres complètes, des opéras, arias, Messes, Passions …
Je découvrais quelque chose qui me faisait vibrer, je m’y plongeais sans retenue, Vivaldi, Purcell, Haendel et Bach devinrent mes nouveaux compagnons
C’est vers le dessin et l’art que j’ai orienté ma passion, à trente ans
J’ai acheté des livres d’art, découvert les courants, les cubistes, l’art moderne
Je ne fais jamais les choses à moitié
Et j’ai dessiné, fait des tableaux, de beaux tableaux
Et brutalement j’ai eu envie de lire, des romans
Alors je devais payer, cher, acheter, que ça me coûte
J’ai acheté les livres que je voulais lire et je me suis remise à lire, tout heureuse de me retrouver dans cet univers, de nouveau libre, passionnée
Et je suis revenue à la création, les bijoux, par petit peu, puis par engouement
J’ai laissé les livres, et j’ai recommencé à écrire
J’ai longtemps culpabilisé, de m’être tant éloignée de la lecture, on ne m’a pas aidée
Maintenant c’est bel et bien fini, j’ai trouvé d’autres cordes, je ne sais pas si baignée dans une famille cultivée j’aurais fait le même chemin, on ne refait pas l’histoire
J’ai transmis le goût de lire à mes filles, elles lisent beaucoup, tout le temps …
Elles aiment ça..
Le jour où j’ai visité le CDI du collège d’Ellen et de Mark, j’ai senti mes larmes monter.