Les applaudissements s’estompent peu à peu, nous quittons la scène joyeux, j’hésite à rejoindre directement la loge, changer de tenue avant de retrouver les copains dans la salle, j’ai peu de chance de connaitre du monde dans le public
Pourtant, je m’y rends d’un pas alerte, sait on jamais, à peine arrivée une femme accourt vers moi et me claque trois bises franches sur les joues
« Jeanne, j’étais certaine de vous retrouver ici ! «
Je reconnais Madeline, une stagiaire croisée en 2008 puis en 2010, une femme au parcours assez atypique
Titulaire d’un master, elle avait testé le monde de l’entreprise et très peu à l’aise dans cette faune, avait tout largué pour exercer le métier d’assistante maternelle
Madeline est une femme grande et épaisse, vêtements amples, brute, pas de maquillage, pas de bijoux, elle me présente à nouveau ses trois enfants, je les avais déjà rencontrés elle et sa famille lors du dernier spectacle dans cette même salle
Elle est ravie !
Ne me parle pas du tout du show, elle aime, elle revient, elle me parle de sa passion pour son travail
« Vous savez, je parle souvent de vous dans les petits groupes «
Cela me flatte, évidemment
Durant sa formation, cette stagiaire avait une analyse très juste de la profession et du positionnement, elle était extrémement fine pour faire passer les choses, sans se mettre en avant, sans braquer les autres
Elle aime son métier, et forcément, déborde de demandes
Elle cause, enthousiaste et emballée
…et moi, un peu vidée par deux heures de scène, je rebondis comme je peux, comme si je traversais deux mondes en un rien de temps, s’adapter.
On pourrait trouver ça déplacé de déranger une professionnelle dans un contexte tout autre, mais je prends ça avec plaisir, j’aime cette spontanéité, cette femme est rieuse, vive, c’est du bonus
Pendant la conversation , je sens des mains qui se posent sur mes épaules , comme pour me transmettre encore un peu d’énergie ou pour me dire « Jeanne , lâche un peu .. » je me retourne et réponds du regard , on se comprend .
J’informe Madeline de mes changements professionnels, elle est surprise, forcément, au fond de moi je prends une fois de plus conscience d’un vrai gâchis, mais c’est ainsi, je ne peux rien faire face à la situation, je ne transmettrai plus mes connaissances, mes expériences à ces professionnelles, je rebondirai certainement, sans me précipiter
J’aimerais pouvoir échanger dans le temps avec cette femme, comment ?
Je lui demande son adresse mail, mais elle avoue avoir un vieux PC qu’elle branche rarement
Ça me fait sourire
Elle cherche un papier dans son sac, en vain, son mari qui trépigne un peu de fatigue lui tend un bout de feuille verte, je reconnais le flyer agenda distribué, un truc fait à 4 mains, ça me fait sourire
Elle me parle d’une jeune femme qui avait partie de la troupe, elle habite dans sa commune, après descriptif je pense à Chimène, et je l’aperçois à quelques mètres de nous, c’est étrange comme le monde est tout petit
Nous nous quittons avec une promesse de se revoir l’an prochain dans le nord du département
Je me dirige vers Chimène, je suis heureuse de la revoir, c’est une femme adorable, nous papotons un peu
Je vais me changer dans la loge, j’y croise Léandre, nous bavardons encore
Je retrouve mes vêtements de ville, plie mes affaires, range le flyer vert, et retrouve les copains de la troupe
Il n’est pas loin de minuit, le deuxième mi temps va bientôt commencer