Un dimanche après midi, calés dans le fond de l’ami 8, mon père au volant, révéla notre destination
« nous allons à Querqueville «
Systématiquement, je vomissais, toujours, le simple fait d’entendre le mot, c’était fini, un désastre. Ma mère le savait, c’était irrémédiable.
Arrivés à bon port, ma tante Edith nous accueillait, enfin.. elle était là
Il y avait toujours un va et vient incessant, des copains, des marins, des pécheurs. Mes parents restaient assis, ils n’étaient pas à l’aise dans cet univers.
J’aimais bien retrouver ma cousine Fanny, elle avait mon âge, dynamique, avec mon frère nous allions au cimetière, nous visitions les tombes, explorions les statues, les anges..
Ses deux frères Gary et Hubert, n’étaient pas souvent là. Ils allaient souvent en mer avec leur père , ils étaient livrés à eux même depuis longtemps , n’avaient aucune limites , aucunes contraintes , faisaient comme bon leur semblait , pas d’horaires , rien du tout .
Edith, comme Martha n’a pas eu une vie facile, elle a épousé Jean Louis dans les années 60, lui il voulait épouser Martha, il lui redira mainte et maintes fois peu avant sa mort. »Je n’ai pas choisi la bonne ! «
Une vie faite d’embûches et de catastrophes, elle fût renversée par une voiture, elle accepta les blessures graves de son fils Hubert à son tour accidenté, sa maison fut ravagée par le feu, les affaires tournèrent mal, endettement, saisie..
Edith a affronté tout ça avec froideur, énergie, elle ne pleure jamais Edith..
Pour se ressourcer, elle allait de temps en temps aux enterrements, elle aimait bien, elle voyait du monde, retrouvait des cousins, elle emmenait ma mère, buvait un café au retour..
Jean Louis était pêcheur, il parlait fort, riait très fort, le capitaine Haddock.Il partait en mer avec ses deux gars, elle restait tranquille Edith, pas inquiète du tout, elle cultivait ses tomates, vendait son homard, tricotait, brodait, faisait des bouquets.
Edith, elle ne demande rien à personne, elle veut être tranquille, toute seule
La trahison de Jean Louis l’a enragée, elle devenait aigrie, elle ne voulait pas partir, c’était sa maison, elle resterait.
Jean Louis est parti il y a quelques années, dans d’affreuses souffrances, rongé, par la maladie, par la vie.
Edith a retrouvé la paix, elle ne se plaint pas, elle aime bien Fanny, elle ne voit pas trop Gary, ils ont été fâchés des années..
Hubert a vieilli, 45 ans, c’est vieux, il n’a plus de famille, il ne peut plus pêcher, la coke, l’alcool le mettent en danger c’est fini, il essaye, tente …Edith ne peut plus rien.
Edith est allée au cimetière aujourd’hui, dire adieu à Hubert, tombé dans un coma éthylique fatal, elle a retrouvé ses sœurs, son frère, ses enfants, au retour, ils boiront un café.
Edith n’aura pas de larmes, elle ne pleure plus depuis des années, elle a forgé sa carapace, fatalité de la vie, elle retourne à ses tomates, ses chats, ses broderies
Elle vivra longtemps, très vieille Edith. ;depuis toujours, à sa façon, elle a dompté la mort.
La dernière fois que j'ai vu Hubert , c'était à la télévision , lors des conflits des pécheurs à Cherbourg , il menait son combat .Puis la faillite et les conflits de couple de famille l'ont emmuré avec sa copine de route , la bouteille , celle qu'il déroba la dernière fois que je suis allée chez mes grands parents
On le savait condamné , malade , hors service , sa mort a réveillé plein de choses enfouies ,un héritage que je ne renierai jamais , ma famille est telle qu'elle est , les sentiments ne sont jamais défunts .