Après son veuvage, tante Julienne cohabita avec Marcel lui-même veuf
Elle avait neuf enfants, et lui en avait sept, ils installèrent leur colonie dans le pavillon agrandi, où ils vivaient à dix huit, le plus jeune avait trois ans.
Tous les ans, il y avait une communion, puis très tôt, les filles se marièrent avant même leur majorité ( on les comprend )
C’était une journée type, toujours les mêmes rituels, ennuyeux
Après l’après midi dansant , nous passions à table.
Nous n’avions pas le droit d’en sortir avant le dessert, imaginez les heures que j’ai passé devant mon assiette à observer les autres courir autour de nous, mais je n’ai raté, car j’ai observé les adultes aussi.
Cela faisait la fierté de mon père de nous voir rester à table.
Après les jeux à la con, vulgaires et dégradants, c’était le moment de pousser la chansonnette.
Souvent c’était mon grand-père qui ouvrait le bal
Il tentait de chanter, un peu gêné par son manque de souffle, son surpoids, toujours la même chanson, on ne comprenait rien, il avait des fréquences vocales irrégulières, parfois il n’y avait plus le son, il s’arrêtait, toussait 30 secondes, et repartait, ma grand-mère lui tapait dans le dos et prenait un air paniqué
La chanson était un peu grivoise..
Puis les tantes chantaient en cœur, faux, souvent le traditionnel « Rossignooooooooools de mes amours «
Elles dégueulaient les fins de phrases, c’était pas très heureux, mais tout le monde reprenait avec elles, enfin les femmes et mon oncle commerçant
La cousine Lucienne, avait son titre phare, « la marmite « de Dario Moreno
« on ne sait où il habiiiiiiiiiiiiiiiiite, on l’appelle la marmiiiiiiiiiiiiiiiiiite..
C’était d’un comique
Puis les jeunes qui faisaient déjà vieux chantaient des chansons paillardes, des trucs commencés mais pas finis
« ils ont des chaperons, vive la Bretagne. »
Chacun y allait de son couplet, tout en finesse, comme ça parler de caca et de fesses, les gamins rigolaient et les femmes gloussaient en prenant un air offusqué
Il y avait aussi la séquence histoires cochonne, et la traditionnelle jarretière de la mariée
Mon dieu …
Et puis dans ce brouhaha, cette fumée, ces odeurs de gras et de transpiration, on entendait de temps autre
« Ninette ! «
C’était La chanson de tonton Félicien, son tube, personne ne savait d’où il tenait ça.
C’était une chanson à cascade, il décrivait le physique d’une pauvre fille, du genre « un pied mariton Madeleine. ; «
Il avait un don inouï pour chanter ça, se faisait supplier pendant une heure, puis alors que les convives s’épuisaient, il se levait d’un bond et entamait sa ritournelle
Les gens étaient morts de rires, se mouchaient dans leur serviette, il gardait son sérieux, le texte était en patois agrémenté à sa sauce, ne cherchez pas à trouver les paroles, c’est inchantable.
Il finissait par une triomphale Ninette, se rasseyait en silence, c’était ça aussi qui annonçait que la fête était finie, qu’en quelque sorte, tout était accompli
Enfin presque, vers deux heures du matin, sans qu’on lui ait rien demandé mon père racontait une blague, puis tirait sa révérence, d’un geste de la main, et mettait alors en route le moteur de son ami 8
Nous nous sommes souvent remémoré ces soirées là, avec mes parents, Flo et Louis, on piquait des fous rires terribles, un fois devenus adultes
Mon père avait souvent idolâtré sa famille, avec nous il avait appris le sens de la dérision, on passait en revue tous les personnages
Le pauvre Gabriel n’ayant pas vécu tout ça, avait du mal à rentrer dans nos délires, quoique, il imaginait bien, connaissait les cousins de Rauville et de Sottevast .
Pour les 40 ans de mariage de mes parents, nous leur avons organisé un banquet, Félicien était de la fête, et rien que pour nous, en fin de soirée, après bien des supplications, il nous chanta..
… Ninette ….
Toujours le même succès..